Professeur Maurice Mimoun

 La pratique de la chirurgie plastique et surtout la nécessité de l’enseigner m’ont amené très vite à bâtir une théorie que j’ai appelée Corps-Ecran. Ses facettes sont nombreuses, parfois trompeuses, avec ses dangers, mais le mécanisme est toujours le même : il s’agit de se cacher derrière son corps. Dans le Corps-Ecran, la personne fabrique son symptôme, sa toile. Cette construction est intellectuelle. Le patient peut s’appuyer sur les critères esthétiques du moment. Elle peut aussi être sournoise, car réaliste. Une maladie ou un traumatisme fortuit peut être investi en écran. Il prend alors l’apparence d’une pathologie habituelle où le médecin est souvent piégé. C’est par exemple une déviation ou une fracture du nez, une brûlure. Certes on peut réparer ce qui saute aux yeux, mais il faut faire attention à ce qui se cache derrière.

Mon propos n’est pas de diviser en catégories psychiques les patients, mais de reconnaître le Corps-Ecran comme leur plus petit dénominateur commun. Le Corps-Ecran est un mécanisme qui se rencontre dans des cadres très variés, chez des personnes qui pour la plupart ne sont pas des malades psychiques, mais parfois chez d’autres dont la pathologie psychiatrique peut être plus ou moins lourde. En fait, cela importe peu. L’ambition n’est pas un diagnostic, une étiquette que seul le psychiatre peut porter avec crédibilité et dont le chirurgien ne sait que faire s’il ne s’en dégage pas une attitude thérapeutique efficace, l’ambition est une prise de conscience claire de cet angle de vue. 

L’enseignement pendant nos études sur l’image de soi a une place très réduite. En chirurgie, l’aspect technique efface le reste. C’est bien malheureux, car aucun acte de chirurgie plastique ou réparatrice ne peut être envisagé avec pertinence sans cette dimension qui conduit parfois à différer ou à récuser l’intervention.

Le Corps-Ecran est donc, pour moi, une manière d’affirmer la nécessité, dans la demande de modification corporelle, de prendre en compte cet « autre-chose-aussi » et SURTOUT D’Y METTRE UN NOM. Une fois nommé, donc reconnu, le Corps-Ecran peut enfin être enseigné. Il viendra influer naturellement sur le traitement, car le plasticien pourra en parler sans ambiguïté aux autres thérapeutes, parfois avec le patient lui-même et collaborer avec les psychanalystes.

Une opération sans toutes ces précautions pour le même résultat esthétique peut être néfaste ou inutile. La levée de l’écran doit être faite avec prudence de manière très différente selon les cas. C’est tout l’objet de notre enseignement et notre recherche.

Sabrina Belemkasser

« Mal dans sa peau », « à fleur de peau », « sauver sa peau », « écorché vif »… Tant d’images autour de la peau, utilisées dans la vie quotidienne, pour qualifier un état d’âme, une souffrance psychique. Si ces expressions sont aussi efficaces et parlantes, c’est qu’elles témoignent du dialogue constant entre peau et psychisme. 

Pourquoi une cicatrice sur la peau, si petite soit-elle, peut-elle susciter un effondrement psychique durable du sujet ? Pourquoi, chez certaines personnes, des situations de séparation ou de deuil peuvent-elles être le terreau d’une décompensation d’une maladie de peau ou d’une brûlure accidentelle ? Pourquoi un patient brûlé paraît-il moins en détresse à partir du moment où il est greffé ? Pourquoi un patient souffrant d’une épidermolyse bulleuse ne parvient-il plus à contenir ses affects lorsqu’il est au paroxysme de sa maladie et que toute sa peau se décolle ? Ces questions trouvent toutes un début de réponse dans la symbiose constante, depuis la vie intra-utérine, entre la peau et le psychisme. Cette unité donne lieu à de forts effets de réciprocités pouvant pousser l’Homme à la vie, ou au contraire, le plonger dans les méandres de la douleur somato-psychique. 

Ainsi, le psychisme a lui aussi une peau dont les fonctions s’appuient sur celles de la peau somatique. Ce « Moi-Peau » protège le psychisme des angoisses dévastatrices par sa fonction de contenance, elle permet et régule le lien à l’autre, soutient l’excitation sexuelle, représente une surface d’inscription des souvenirs… Dans la même idée, la peau somatique peut ouvrir une fenêtre sur une souffrance psychique insoupçonnée, inconsciente. La plainte autour de la peau, et la demande de sa prise en charge chirurgicale, peut être ainsi le véritable révélateur d’un tourment plus profond, qui ne se situe plus seulement en surface de la peau, mais bien au fin fond de l’âme. Cette notion du « Corps-Ecran » montre bien que la peau est à la croisée du monde somatique et du monde psychique. Si fine soit-elle, elle porte l’identité tout entière du sujet. 

L’espoir porté par Skin For All est donc également celui de protéger ce qu’abrite la peau, le psychisme. 

Sabrina Belemkasser 

Psychologue

Hôpital Saint-Louis

Assistance Publique de Paris