Il choisit minutieusement ses mots. Hésite parfois quitte à «faire un peu de concessions au sens pour la sonorité du mot lequel donnera, par sa sonorité, le sens». Maurice Mimoun est écrivain mais c’est avant tout une personnalité incontournable de la chirurgie plastique, réparatrice et du traitement des grands brûlés. Son métier passion, voilà trente ans qu’il le pratique comme le plus ardu des arts. Pour la beauté du geste et sa fluidité. C’est que le sexagénaire a toujours voulu être médecin, et en même temps travailler de ses mains. Son père, venu d’Algérie, mécanicien puis inventeur, triple vainqueur du Concours Lépine, l’a initié au maniement d’outils en tous genres. Cette figure forte, qu’il a tant aimée, sera d’ailleurs au centre de son prochain ouvrage

Puis Maurice Mimoun s’est pris d’amour pour les grands brûlés, après avoir été formé à l’hôpital Saint-Louis, dans le 10e arrondissement, par son mentor le Pr Baux. Avant de prendre sa suite. D’avoir l’«honneur» de pouvoir sauver des vies. Comme celle de Franck, arrivé dans son service en 2016 alors qu’il venait d’être brûlé à 95 % par l’explosion d’un bidon chimique sur son lieu de travail. Son espoir de survie était «quasiment nul». Jusqu’à ce que le chirurgien n’apprenne, deux jours plus tard, que Franck avait un jumeau homozygote, Éric. Sa peau était donc compatible avec celle de son frangin. Après plusieurs interventions, Éric se voit prélever environ 45 % de sa peau, du dos aux cuisses en passant par la tête. Ce don sauvera son frère, malgré de multiples complications. Cette intervention a constitué une première mondiale, dont Le Figaro s’était fait l’écho fin 2017. Et suscité beaucoup d’espoirs dans le monde médical. «On a démontré que si on avait une sorte de peau magique, ou plutôt universelle, on arriverait à sauver beaucoup de gens dans le domaine de la brûlure ou des pathologies de la peau», souligne le professeur.

On a démontré que si on avait une sorte de peau magique, ou plutôt universelle, on arriverait à sauver beaucoup de gens dans le domaine de la brûlure ou des pathologies de la peau
Maurice Mimoun

Désireux de faire avancer la recherche sur le sujet, il a créé en 2021 l’association Skin For All (De la peau pour tous). «C’est un organe extrêmement complexe. Mettre de la vraie peau sur un autre corps déclenche des phénomènes immunologiques de rejet extrêmement forts, relève le praticien. Si on parvient à trouver cette peau magique, lorsqu’il y aura un manque de peau ou une peau abîmée, il sera possible de la remplacer, sans rejet. Mais il y a un tas de facteurs à prendre en compte, que ce soit la couleur, l’élasticité, la texture, les poils, etc.»

«Un hymne à la vie»

Depuis longtemps, Maurice Mimoun souhaitait créer une association pour la recherche de peau mais, pris par son travail, il avait toujours repoussé ce projet au lendemain. Jusqu’à ce que Frédéric Picard, rédacteur en chef du figaro.fr, son ami de longue date, lui annonce qu’il allait faire une chanson dont les droits seraient reversés à une association. Cette annonce agit alors comme un booster pour le chirurgien. «Quand on a des choses urgentes, on laisse tomber l’essentiel. Fred m’a donné l’occasion de me recentrer sur ce qui compte en créant cette association pour favoriser la recherche.» Le titre Pendant que je cours a vu le jour le 29 janvier 2021. Composé par le mélodiste Léonard Lasry, le single parle d’une course sans fin, celle de la vie. «Cette chanson sonne comme un hymne. Un hymne à la vie! Je suis très heureux que Fred et Léonard l’aient offerte à Skin For All», précise Maurice Mimoun.

Cette collaboration en dit long sur le penchant artistique du chirurgien. «Lors d’une intervention, si vous avez une fluidité, un enchaînement de mouvements, c’est comme une danseCe n’est pas qu’une succession de mouvements techniques», assure-t-il ainsi. La technique, qu’il a acquise il y a bien longtemps, est évidemment primordiale. Mais Maurice Mimoun n’hésite pas à recommander aux internes et aux étudiants de se départir du double décimètre dont ils se munissent systématiquement lorsqu’ils rencontrent un nouveau patient pour une chirurgie plastique. «N’ayez pas une vision d’architecte, on travaille du vivant», leur répète-t-il. Car si la recherche du beau est essentielle, le beau, selon lui, est très global. Il n’est pas superficiel. Aller à contre-courant pour faire une cicatrice parfaite ne servira à rien: la peau, à un moment se révoltera. Le beau, c’est avant tout une philosophie, une attitude.

Chaque être est un roman
Maurice Mimoun

Pour atteindre ce niveau d’excellence dans son métier, le médecin a plusieurs sources d’inspiration. Ses parents lui ont appris à «observer, voir, être curieux» et lui ont transmis leur connaissance de la nature. «Lorsque j’ai été nommé jeune professeur, j’ai été invité par France Culture pour parler de mon métier. J’étais très impressionné et j’avais révisé toute l’histoire de la médecine», relate-t-il. Pour le reste, il s’est forgé au fil des ans son bagage culturel. En s’exerçant au piano, à ses heures perdues. Et en découvrant, conquis par son célèbre roman L’Insoutenable Légèreté de l’être, l’écrivain tchèque Milan Kundera.

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Maurice Mimoun a finalement pris la plume lui-même. Dans L’Impossible Limite (Éditions Albin Michel, 1996), il raconte son métier, son rapport à l’éthique. Comme lorsqu’il dut brancher provisoirement un pied sectionné sur l’avant-bras d’un blessé, en attendant que l’état du moignon ne s’améliore. Où se situent les limites? La mort, la vie, le beau, le laid, le handicap, le normal, le sexe: «On le sait bien, tout n’est pas si clair que ça», assure-t-il. Il témoigne en tout cas à ses patients d’une empathie rare. Chaque nouveau rendez-vous est une nouvelle histoire. Avec des confidences et des souffrances qui ne sont pas uniquement esthétiques. Un jeune de 25 ans, venu se faire opérer du nez, a en fin de compte été dirigé vers un psychiatre plutôt que vers le bloc opératoire. Ses parents, réticents face à cette intervention, lui ont avoué la veille de l’opération qu’il était adopté. Maurice Mimoun en est convaincu: «Chaque être est un roman.»